Grace Pitts : Run
Le temps accordait toujours la même constante à la région. Une petite couche de neige en hiver, juste de quoi se chausser pour plus chaud et s’enfoncer de quelques centimètres au fil des pas. Sortir le bonnet puis se couvrir le cou d’une écharpe tricotée avec la laine que donnait le troupeau. En été, on ressentait un minimum l’air frais que procure l’altitude. Cette sensation revigorante qui passe dans les poumons, fouette le sang et requinque.
Il y avait dans ces montagnes à l’herbe bien verte et fournie un foyer, petit. Le père était un brave berger qui avait en tout et pour tout un cheptel d’une trentaine d’animaux. Ses journées étaient rythmées à mener en pâturage les moutons, les tondre, faire les marchés dans les villages bien plus bas, s’occuper de la terre et des quelques tâches annexes pour faire vivre ses animaux et ses enfants.
Elles étaient certainement sa plus grande fierté. Deux filles, jeunes mais travailleuses, un peu gaillardes mais la campagne voulait qu’elles le soient. La première, plus grande en âge, l’était aussi par la taille. Des cheveux longs lui venant aux épaules, elle avait de grands yeux bruns, ronds comme des billes et des rougeurs continuelles aux joues qui lui donnait son air rustique. Elle paraissait être une éternelle renfrognée. Très terre à terre, elle avait délaissé depuis bien longtemps les amusements des jeunes années avec les jouets de bois et les poupées de chiffon pour se consacrer uniquement à soutenir son père et faire vivre le foyer.
La seconde, plus petite, en âge, laissait grandement son esprit s’évader dans des songes éphémères et soudaines, ce qui lui valait bien souvent les remontrances sèches de sa sœur. Son père s’amusait de ces phases qu’elle pouvait avoir, la faisant revenir plus tendrement dans la réalité sur la douce interrogation qu’il émettait : « Princesse, tu es là ? » Elle était tout aussi travailleuse que son aînée, parfois le manque de force la ralentissait, et même si un bon quart d’eau du sceau, puisée fraîchement, se déversait sur le chemin pour mener à la maison, on voyait la fierté briller dans ses yeux quand elle le déposait finalement aux pieds de son père.
La mère avait laissé ce petit bout de famille continuer dans la vie, la sienne s’étant faite emporter par une maladie incurable. Les derniers mois furent intenses et difficiles à supporter. Il fallait s’occuper des bêtes, même si le moral n’était pas présent mais surtout être là pour elle, et c’était là le plus blessant. La lueur du regard qui déclinait de jours en jours et pourtant un doux sourire qui promettait un avenir radieux. La toux qui devenait incessante à s’en époumoner. La fièvre qui ne lui donnait pas de répit. Ce fût un soulagement amer, lorsque, enfin son regard vint à se clore pour de bon.
Un autre jour noir se profilait, quelques mois plus tard, sans pour autant le soupçonner…
Les clochettes des moutons tintaient au gré des déplacements pour brouter l’herbe. Le soleil donnait sur la région mais la famille portait facilement le gilet sans manches. Le cheptel stagnait aux devants de la petite maison en bois. La plus jeune des sœurs attendait sagement que son père arrive. Aujourd’hui était un jour spécial, enfin on lui apprendrait à conduire le troupeau. Ou plutôt, elle en aurait la responsabilité. Elle voyait parfaitement le chemin à faire, par ou passer, les zones ou il fallait être prévenant avec les animaux pour ne pas qu’ils s’éparpillent. Elle se voyait déjà a babiller pour conduire. En définitif, elle songeait une énième fois, mais personne pouvait savoir que ces rêveries étaient loin d’être insignifiantes.
- Tu vas rester à la maison, cette après-midi. Je vais conduire le troupeau avec ta sœur et elle va s’exercer à le mener, fît le père pour sa première fille dans un fin sourire bienveillant.
- Elle ferait tout aussi bien de préparer les légumes, si elle ne se coupe pas. Nous allons être en retard pour le souper, souffla cette dernière.
- Je sais. Cependant, Monsieur Georges doit passer pour prendre deux sacs de laine. C’est un bon ami et en rien il ne tenterait de m’entourlouper pour l’argent, mais tu dois apprendre à gérer le commerce aussi. Et puis…, Son regard trahissait déjà un grand amusement, si tu n’as pas envie de manger un potage avec des légumes à peau, c’est peut-être mieux ainsi.
- Hmmmff, réprimât l’aînée avant que son père ne reprenne de manière plus sérieuse.
- Tu sais ma chérie, je ne serais pas là éternellement, votre mère avait encore beaucoup à vous apprendre que je ne saurais faire. Plus tu grandis, plus tu es apte à reprendre le troupeau. Tu dois veiller sur ta sœur, mais ta sœur devra aussi t’aider. Je pourrais te laisser partir avec elle, cette après-midi, mais la brusquer ne servirait à rien. Elle est une jeune enfant encore dans son monde, comme tu l’as été. Comme je l’ai été. Laisse-lui du temps, simplement. Tu es Madame Hargreaves maintenant. Et j’ai besoin de toi pour remplacer ta mère qui était si merveilleuse quand je devais conduire les bêtes.
Il déposa un délicat baiser sur le front qui la fît fermer les yeux sur l’instant. Puis dans un dernier regard paternel il sortit de la maisonnette pour retrouver son autre fille.
Les deux empruntèrent le chemin pour aller plus loin dans les hauteurs, faisant prendre au troupeau la direction. La petite route de cailloux et graviers donnait sur une vue imprenable. Plus en bas on supposait le village. Le cours d’eau fendait en deux la montagne d’où ils se trouvaient et son opposée. Le ciel était comme bien souvent dégagé et d’un bleu limpide. Quelques nuages laineux à l’image des bêtes se perdaient parfois dans l’immensité azur.
Une bonne heure s’écoula tandis que l’ascension se faisait plus risquée. Désormais, le côté gauche n’était plus un simple coteau abrupt mais bel et bien des surplombs, comme de courtes falaises. Mais déjà, la jeune meneuse pensait à la suite. A ce pont de bois marqué par le temps qui grinçait dangereusement. A comment négocier le passage avec les animaux, pour qu’ils ne se ruent pas tous en un tas compact. C’est à cet instant même qu’elle revint à la réalité, le regard porté sur la gauche. L’une des bêtes venait de quitter le reste pour aller brouter quelques fleurs bien formées non loin du vide, comme sur un petit plateau qui ferait appendice au chemin principal. Cependant, c’était loin d’être un plateau simple, le dénivelé était tel qu’on pouvait aisément dans un faux mouvement se retrouver quelques quinze mètres plus bas.
La jeune fille intima aux animaux de s’arrêter avec l’intonation adéquate, le père ajouta un peu de fermeté pour arriver au résultat souhaité, mais ce fût un succès pour elle. La jeune bergère commença à descendre pour retrouver l’animal, mais l’humidité présente sur la verdure faisait glisser courtement ses pas déjà loin d’être assurés. Finalement à se retrouver sur l’arrière-train, son cœur s’emballa quand elle vit la chute qu’elle pouvait faire, ce qui la tétanisa sur l’instant.
- Attention à toi, Princesse. Ne bouge plus… Je vais m’en occuper.
Le père fronça les sourcils, il ne s’agissait pas qu’il arrive un malheur en ce jour alors qu’elle conduisait parfaitement les animaux. Il l’aida à se relever et s’écarter, pour se retrouver à s’approcher du mouton bien trop tranquille, qui continuait à manger l’herbe fraîche. Son bâton de conducteur lui assurait des appuis qu’il ne trouvait autrement. Il devait contrebalancer toute la lourdeur de son poids pour ne pas se laisser emporter. A portée, il gratifia l’animal d’une tape vers le gigot. Celui-ci se précipita avec hâte en des bonds de cabri pour remonter.
C’est à ce même moment, que perdant l’équilibre, le père se retrouva à basculer en arrière, là ou la pesanteur ne fît que de l’attirer : Une quinzaine de mètres au bas. La jeune fille cria tout ce qu’elle pût pour appeler son père. Rien n’y fît. En panique et les larmes déjà aux yeux, elle revint sur ses pas pour obtenir un autre angle de vision. Il était au sol, contre les rochers, inerte. Du sang à la figure. Les tremblements la prirent, les choses se bousculaient dans sa tête avec incohérence. Les animaux qui étaient plus haut, calmes. Son père là. Sa sœur, au bas. C’était la solution. A toutes jambes elle entreprit de l’avertir. Jamais elle n’eut a courir comme cela. Avec une telle intensité. Parfois ses chevilles se tordaient sur les cailloux qui formaient l’aspérité du sol et même si la douleur était présente, elle en faisait fi, de manière inconsciente. Le chemin du retour était entièrement embrumé de ces larmes qui n’arrêtaient pas de s’écouler. Après une bonne demi-heure de course, elle percuta la porte de la maison, ce qui l’ouvrit avec vacarme :
- Papa est tombé ! Papa est tombé !
Sa sœur qui venait de tressaillir sous l’offensive qu’elle avait donné à la porte se délesta de son activité pour la questionner tout aussi soucieuse et avec énervement, les mains sur les épaules.
- Comment ça « Papa est tombé ?! » Ou ?! Quand ?! Qu’as-tu fait encore ?!
- Les...Les… Le chemin. Le chemin avant le pont. Il est tombé dans le vide.
- … Tu pouvais pas le dire plus tôt ? Potiche.
L’aînée venait de prendre les devants, ses mains relevaient sa jupe. La cadette, encore sonnée de la scène suivi par la même occasion. Qui aurait cru qu’elle serait aussi résistante dans un moment de panique pareil. Elle allait courir pour une heure, les chevilles douloureuses.
Les filles arrivèrent sur le lieu.
- Ou est papa ?
- L-...à, là, lui indiqua la plus jeune, l’index vers le rebord. J’avais peur pour le pont et j’ai pas fait attention. Le mouton s’était approché, j’ai pas réussi à le remonter. Papa y est allé, il est tombé.
- Mais qu’as-tu fait… mais qu’as-tu fait… s’exaspéra sa sœur, partagée entre surprise, colère et tristesse.
Elle s’approcha du bord pour observer le père, toujours au bas. Il n’avait pas bougé et son regard était toujours ouvert… et pourtant si absent. Elle s’effondra au sol, en sanglotant. Un « non » fusa avec haine dans l’altitude de la montagne qui rétorqua avec écho par trois fois, avec dégression d’intensité. Elle était abattue. La plus jeune l’était elle aussi. La peine de sa sœur ne faisait que décupler la sienne. Était-elle responsable de ce qu’il s’était passé ? Pourquoi ce maudit mouton s’était-il écarté sans qu’elle n’arrive à le voir ? Pourquoi Papa la faisait conduire aujourd’hui ?
Plongeant ses doigts dans la terre, la respiration de l’aînée se faisait plus bruyante. Elle martela le sol d’un poing rageur pour se lever. Ses pas étaient déterminés et animés d’une haine profonde, pure.
- Papa est mort à cause de toi… Tu as abandonné le troupeau… Pourquoi nos parents t’ont-ils fait si idiote ?!, Ses mains venaient de s’agripper autour du cou de sa petite sœur.
- Je suis désolée… Je suis désolée… , lui pleura dessus celle-ci dont le souffle commençait à se faire difficile. Arrêttt-… Arrg...-
Elle ne comprenait plus ce qu’il se passait. Ses propres mains tentaient de contrer la force que mettait sa sœur à l’étouffer, mais en vain. Elle n’était pas de taille à lutter. La réalité devenait trouble tandis que les cris et les insultes qu’elle recevait ajoutaient une dimension davantage chaotique. Dans ses dernières énergies, elle essaya de supplier sa sœur , « Je t’en… prie… Pl-... » avant de tomber au sol, inconsciente.
Sa grande sœur venait de la lâcher quand elle vint à basculer sur le côté, trop faible pour batailler plus. En pleurs, elle la laissa là, tout comme son père plus bas. Figée dans le décor. Elle partit rejoindre la maison...
Le Berger, l'Assidue et la Rêveuse
Le temps accordait toujours la même constante à la région. Une petite couche de neige en hiver, juste de quoi se chausser pour plus chaud et s’enfoncer de quelques centimètres au fil des pas. Sortir le bonnet puis se couvrir le cou d’une écharpe tricotée avec la laine que donnait le troupeau. En été, on ressentait un minimum l’air frais que procure l’altitude. Cette sensation revigorante qui passe dans les poumons, fouette le sang et requinque.
Il y avait dans ces montagnes à l’herbe bien verte et fournie un foyer, petit. Le père était un brave berger qui avait en tout et pour tout un cheptel d’une trentaine d’animaux. Ses journées étaient rythmées à mener en pâturage les moutons, les tondre, faire les marchés dans les villages bien plus bas, s’occuper de la terre et des quelques tâches annexes pour faire vivre ses animaux et ses enfants.
Elles étaient certainement sa plus grande fierté. Deux filles, jeunes mais travailleuses, un peu gaillardes mais la campagne voulait qu’elles le soient. La première, plus grande en âge, l’était aussi par la taille. Des cheveux longs lui venant aux épaules, elle avait de grands yeux bruns, ronds comme des billes et des rougeurs continuelles aux joues qui lui donnait son air rustique. Elle paraissait être une éternelle renfrognée. Très terre à terre, elle avait délaissé depuis bien longtemps les amusements des jeunes années avec les jouets de bois et les poupées de chiffon pour se consacrer uniquement à soutenir son père et faire vivre le foyer.
La seconde, plus petite, en âge, laissait grandement son esprit s’évader dans des songes éphémères et soudaines, ce qui lui valait bien souvent les remontrances sèches de sa sœur. Son père s’amusait de ces phases qu’elle pouvait avoir, la faisant revenir plus tendrement dans la réalité sur la douce interrogation qu’il émettait : « Princesse, tu es là ? » Elle était tout aussi travailleuse que son aînée, parfois le manque de force la ralentissait, et même si un bon quart d’eau du sceau, puisée fraîchement, se déversait sur le chemin pour mener à la maison, on voyait la fierté briller dans ses yeux quand elle le déposait finalement aux pieds de son père.
La mère avait laissé ce petit bout de famille continuer dans la vie, la sienne s’étant faite emporter par une maladie incurable. Les derniers mois furent intenses et difficiles à supporter. Il fallait s’occuper des bêtes, même si le moral n’était pas présent mais surtout être là pour elle, et c’était là le plus blessant. La lueur du regard qui déclinait de jours en jours et pourtant un doux sourire qui promettait un avenir radieux. La toux qui devenait incessante à s’en époumoner. La fièvre qui ne lui donnait pas de répit. Ce fût un soulagement amer, lorsque, enfin son regard vint à se clore pour de bon.
Un autre jour noir se profilait, quelques mois plus tard, sans pour autant le soupçonner…
Les clochettes des moutons tintaient au gré des déplacements pour brouter l’herbe. Le soleil donnait sur la région mais la famille portait facilement le gilet sans manches. Le cheptel stagnait aux devants de la petite maison en bois. La plus jeune des sœurs attendait sagement que son père arrive. Aujourd’hui était un jour spécial, enfin on lui apprendrait à conduire le troupeau. Ou plutôt, elle en aurait la responsabilité. Elle voyait parfaitement le chemin à faire, par ou passer, les zones ou il fallait être prévenant avec les animaux pour ne pas qu’ils s’éparpillent. Elle se voyait déjà a babiller pour conduire. En définitif, elle songeait une énième fois, mais personne pouvait savoir que ces rêveries étaient loin d’être insignifiantes.
- Tu vas rester à la maison, cette après-midi. Je vais conduire le troupeau avec ta sœur et elle va s’exercer à le mener, fît le père pour sa première fille dans un fin sourire bienveillant.
- Elle ferait tout aussi bien de préparer les légumes, si elle ne se coupe pas. Nous allons être en retard pour le souper, souffla cette dernière.
- Je sais. Cependant, Monsieur Georges doit passer pour prendre deux sacs de laine. C’est un bon ami et en rien il ne tenterait de m’entourlouper pour l’argent, mais tu dois apprendre à gérer le commerce aussi. Et puis…, Son regard trahissait déjà un grand amusement, si tu n’as pas envie de manger un potage avec des légumes à peau, c’est peut-être mieux ainsi.
- Hmmmff, réprimât l’aînée avant que son père ne reprenne de manière plus sérieuse.
- Tu sais ma chérie, je ne serais pas là éternellement, votre mère avait encore beaucoup à vous apprendre que je ne saurais faire. Plus tu grandis, plus tu es apte à reprendre le troupeau. Tu dois veiller sur ta sœur, mais ta sœur devra aussi t’aider. Je pourrais te laisser partir avec elle, cette après-midi, mais la brusquer ne servirait à rien. Elle est une jeune enfant encore dans son monde, comme tu l’as été. Comme je l’ai été. Laisse-lui du temps, simplement. Tu es Madame Hargreaves maintenant. Et j’ai besoin de toi pour remplacer ta mère qui était si merveilleuse quand je devais conduire les bêtes.
Il déposa un délicat baiser sur le front qui la fît fermer les yeux sur l’instant. Puis dans un dernier regard paternel il sortit de la maisonnette pour retrouver son autre fille.
Les deux empruntèrent le chemin pour aller plus loin dans les hauteurs, faisant prendre au troupeau la direction. La petite route de cailloux et graviers donnait sur une vue imprenable. Plus en bas on supposait le village. Le cours d’eau fendait en deux la montagne d’où ils se trouvaient et son opposée. Le ciel était comme bien souvent dégagé et d’un bleu limpide. Quelques nuages laineux à l’image des bêtes se perdaient parfois dans l’immensité azur.
Une bonne heure s’écoula tandis que l’ascension se faisait plus risquée. Désormais, le côté gauche n’était plus un simple coteau abrupt mais bel et bien des surplombs, comme de courtes falaises. Mais déjà, la jeune meneuse pensait à la suite. A ce pont de bois marqué par le temps qui grinçait dangereusement. A comment négocier le passage avec les animaux, pour qu’ils ne se ruent pas tous en un tas compact. C’est à cet instant même qu’elle revint à la réalité, le regard porté sur la gauche. L’une des bêtes venait de quitter le reste pour aller brouter quelques fleurs bien formées non loin du vide, comme sur un petit plateau qui ferait appendice au chemin principal. Cependant, c’était loin d’être un plateau simple, le dénivelé était tel qu’on pouvait aisément dans un faux mouvement se retrouver quelques quinze mètres plus bas.
La jeune fille intima aux animaux de s’arrêter avec l’intonation adéquate, le père ajouta un peu de fermeté pour arriver au résultat souhaité, mais ce fût un succès pour elle. La jeune bergère commença à descendre pour retrouver l’animal, mais l’humidité présente sur la verdure faisait glisser courtement ses pas déjà loin d’être assurés. Finalement à se retrouver sur l’arrière-train, son cœur s’emballa quand elle vit la chute qu’elle pouvait faire, ce qui la tétanisa sur l’instant.
- Attention à toi, Princesse. Ne bouge plus… Je vais m’en occuper.
Le père fronça les sourcils, il ne s’agissait pas qu’il arrive un malheur en ce jour alors qu’elle conduisait parfaitement les animaux. Il l’aida à se relever et s’écarter, pour se retrouver à s’approcher du mouton bien trop tranquille, qui continuait à manger l’herbe fraîche. Son bâton de conducteur lui assurait des appuis qu’il ne trouvait autrement. Il devait contrebalancer toute la lourdeur de son poids pour ne pas se laisser emporter. A portée, il gratifia l’animal d’une tape vers le gigot. Celui-ci se précipita avec hâte en des bonds de cabri pour remonter.
C’est à ce même moment, que perdant l’équilibre, le père se retrouva à basculer en arrière, là ou la pesanteur ne fît que de l’attirer : Une quinzaine de mètres au bas. La jeune fille cria tout ce qu’elle pût pour appeler son père. Rien n’y fît. En panique et les larmes déjà aux yeux, elle revint sur ses pas pour obtenir un autre angle de vision. Il était au sol, contre les rochers, inerte. Du sang à la figure. Les tremblements la prirent, les choses se bousculaient dans sa tête avec incohérence. Les animaux qui étaient plus haut, calmes. Son père là. Sa sœur, au bas. C’était la solution. A toutes jambes elle entreprit de l’avertir. Jamais elle n’eut a courir comme cela. Avec une telle intensité. Parfois ses chevilles se tordaient sur les cailloux qui formaient l’aspérité du sol et même si la douleur était présente, elle en faisait fi, de manière inconsciente. Le chemin du retour était entièrement embrumé de ces larmes qui n’arrêtaient pas de s’écouler. Après une bonne demi-heure de course, elle percuta la porte de la maison, ce qui l’ouvrit avec vacarme :
- Papa est tombé ! Papa est tombé !
Sa sœur qui venait de tressaillir sous l’offensive qu’elle avait donné à la porte se délesta de son activité pour la questionner tout aussi soucieuse et avec énervement, les mains sur les épaules.
- Comment ça « Papa est tombé ?! » Ou ?! Quand ?! Qu’as-tu fait encore ?!
- Les...Les… Le chemin. Le chemin avant le pont. Il est tombé dans le vide.
- … Tu pouvais pas le dire plus tôt ? Potiche.
L’aînée venait de prendre les devants, ses mains relevaient sa jupe. La cadette, encore sonnée de la scène suivi par la même occasion. Qui aurait cru qu’elle serait aussi résistante dans un moment de panique pareil. Elle allait courir pour une heure, les chevilles douloureuses.
Les filles arrivèrent sur le lieu.
- Ou est papa ?
- L-...à, là, lui indiqua la plus jeune, l’index vers le rebord. J’avais peur pour le pont et j’ai pas fait attention. Le mouton s’était approché, j’ai pas réussi à le remonter. Papa y est allé, il est tombé.
- Mais qu’as-tu fait… mais qu’as-tu fait… s’exaspéra sa sœur, partagée entre surprise, colère et tristesse.
Elle s’approcha du bord pour observer le père, toujours au bas. Il n’avait pas bougé et son regard était toujours ouvert… et pourtant si absent. Elle s’effondra au sol, en sanglotant. Un « non » fusa avec haine dans l’altitude de la montagne qui rétorqua avec écho par trois fois, avec dégression d’intensité. Elle était abattue. La plus jeune l’était elle aussi. La peine de sa sœur ne faisait que décupler la sienne. Était-elle responsable de ce qu’il s’était passé ? Pourquoi ce maudit mouton s’était-il écarté sans qu’elle n’arrive à le voir ? Pourquoi Papa la faisait conduire aujourd’hui ?
Plongeant ses doigts dans la terre, la respiration de l’aînée se faisait plus bruyante. Elle martela le sol d’un poing rageur pour se lever. Ses pas étaient déterminés et animés d’une haine profonde, pure.
- Papa est mort à cause de toi… Tu as abandonné le troupeau… Pourquoi nos parents t’ont-ils fait si idiote ?!, Ses mains venaient de s’agripper autour du cou de sa petite sœur.
- Je suis désolée… Je suis désolée… , lui pleura dessus celle-ci dont le souffle commençait à se faire difficile. Arrêttt-… Arrg...-
Elle ne comprenait plus ce qu’il se passait. Ses propres mains tentaient de contrer la force que mettait sa sœur à l’étouffer, mais en vain. Elle n’était pas de taille à lutter. La réalité devenait trouble tandis que les cris et les insultes qu’elle recevait ajoutaient une dimension davantage chaotique. Dans ses dernières énergies, elle essaya de supplier sa sœur , « Je t’en… prie… Pl-... » avant de tomber au sol, inconsciente.
Sa grande sœur venait de la lâcher quand elle vint à basculer sur le côté, trop faible pour batailler plus. En pleurs, elle la laissa là, tout comme son père plus bas. Figée dans le décor. Elle partit rejoindre la maison...
Dernière édition par La Rose de Sang le Mar 16 Avr - 21:45, édité 2 fois